jeudi 12 décembre 2013

MICHEL ROTY : IRRIGATIONS INTIMES...(Yannick Lefeuvre)

Il y a toujours autour des peintres un ésotérisme lassant, des relents de psychanalyse de bazar ou des flots de logorrhées dégoulinantes. Mais pour une fois, le peintre pose la question «  A quoi tient la vie ? » et y répond sans aucune ambiguïté. Il s'agit de lire ce qui est présenté car ses toiles nous parlent directement.
Dans le monde actuel, cela devient rare. Dans une composition où les strates de peinture révèlent en leur surface les ondes originelles enfouies, juste éberluées d'une touche pertinente qui relie l'esprit aux références connues (silhouettes, ombres d'un ailleurs). Ces signes de reconnaissance sans complaisance avec l'air du temps nous serrent à la gorge. Il nous invite ainsi à penser qu'il s'agit d'histoires de cœurs, de corps et d'êtres. 
Une invitation où l'apparence d'un vêtement d'époque se fluidifie dans des coulures émotionnelles. Ces derniers même s'ils ont disparu s'avancent en nous comme autant de présences indispensables à notre équilibre. Ce qui me ravit dans son travail, c'est le respect qu'il imprime sur ses toiles, sa délicatesse et le tissage en vrai comme en idées qu'il institue en nous avec un plaisir du jeu évident. Rien de morbide pour une fois dans ces espaces là mais du désir qui s'articule de mille et un détails. Sa plongée sincère en lui même et cette précision parfois chirurgicale nous donnent des éléments universels où chacun comme dans un conte se reconnaît et déploie avec joie des lambeaux d'histoires qui nous ont constitués.
Un substrat de plusieurs matières subtiles nous fait toucher du doigt les rêves. Jailli d'une sensualité intériorisée, retenue, respectueuse de lui même et des autres, il fait en sorte que chaque regard trouve matière à voyager dans ses univers secrets. Rien à analyser par contre sinon retrouver du coin de l'œil un bonheur d'être qui s'enracine en amont. L'artiste prend le temps infini et méticuleux de nous signifier cela aujourd'hui. Nous apprenons avec lui les douceurs des glissements pastels, les petits canaux, tubulures, vaisseaux par lesquels justement il n'y aurait pas cette vie qu'il interroge. L'humour à l'humeur jazzy en ce sens où à bien y regarder, c'est la même partition colorée à sa manière, découpée, cousue main qui déploie ses mélodies improvisées. Ses instruments naissent de ficelles aux tissus « tourbichonnés » se balançant au gré des vents du temps.
J'ai envie de dire, ils sont tous là ces petits dieux de la mémoire. Parfois une Aphrodite donne corps à nos désirs. Pas de faux fuyants, il parle d'amour, une fermeture éclair évidente à zipper. C'est bien du plaisir dont il est question, élans vifs et jetés, coupures sanguinolentes, brisures de dentelles mouillées, sutures, déchirures de rouilles désagrégées. Il donne dans le même élan, la généalogie des envies, les figures mythiques fondatrices, la beauté des femmes, l'acte vivant. Parfois les écorchures sont évoquées si subtilement qu'une fois l'achat effectué, nous nous éloignons discrètement, une toile sous le bras pour un plus tard devenu intime, un toujours à partager avec les siens, une trouée dans les demeures pour dire encore et encore la présence d'un art radicalement autre. Il est de ceux dont le tempérament chante l'amour toujours, tout le temps, par tous les temps révélés avec une intelligence picturale originale qui nous fait battre le cœur.
Et si c'est ce qui nous arrive, je crois qu'il est heureux.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire