Blog d'Art Actuel (peinture, sculpture, photographie) - contact : redaction.regart@gmail.com - animateur Lucien RUIMY
jeudi 19 janvier 2012
LE MERLE MEREL (Frédéric Jars)
Voici l’atelier, la plupart du temps déserté : trop froid par temps de gel, trop brûlant les jours d’été, il n’y a que la glycine qui s’y plaise vraiment. Merel, lui, est au jardin ou devant le pôele, grillant une cigarette ou s’envoyant un verre, c’est selon la saison.
Qu’on ne s’y trompe pas pourtant ; son oisiveté est proprement démiurgique : dans l’espace qui sépare un solstice d’un équinoxe, elle a empli les interstices du temps mort de tout un peuple sorti du vortex.
A peine formées ces chimères et c’est déjà comme les soutes d’une arche de Noé fantôme. Tous les ordres zoomorphiques y ont trouvé refuge, à la manière des abeilles sauvages qui se pressent au printemps dans un fagot de brindilles, d’une lucane dans ce trou pourri qui les jours de brume a l’aspect d’une vieille vache sacrée et fourbue.
Il n’y manque même pas un Christ à tête de thon, un couple d’amants errant au profil orthoptère, un bouc sémite qui chique à l’ombre, l’œil vide.
Merel est sur la branche. Il siffle comme un merle qui voit mourir l’hiver, tout noir, les plumes encore gonflées ; couvert de plusieurs tricots, il a peur mais il est plein d’allant. Il a la clope au bec et oublie le métal tordu et rabouté, l’acide des patines, les débris de plomb et d’électrodes.
Comme un demi-dieu rustique, il regarde passer sa cohorte vivante puis se laisse envelopper par le crépuscule. Personne ne pense à mal. Tout est bien.
mardi 10 janvier 2012
LA BIENNALE DE VENISE 2011 (Morgan Peron et Laurence Louisfert)
Qu’est-ce
que la biennale de Venise ? Un évènement qui est censé donner la
température du niveau de créativité d’aujourd’hui et son potentiel d’expression
suivant les propositions d’un vaste panorama de pays. On est parfois loin de
cet objectif.
Ainsi se termine ce regard sur une Venise qui sait admirablement marier sa splendeur classique et son insolite vie quotidienne avec l'art contemporain de tous les horizons ...
Trois
parties sont au programme :
-
Les jardins où les pays privilégiés ont leur propre
pavillon
-
L’Arsenal qui est un vaste melting-pot d’art émergent
-
Des expositions individuelles disséminées dans les plus
intrigants recoins de la ville flottante…
Il
est bien évident que tous les exposants ne peuvent être passés en revue et
c’est seulement une sélection qui vous est ici présentée.
Les Jardins…ou l’art contemporain officiel
-
Au pavillon français, Christian
Boltanski nous plonge dans une
usine à bébés présentée comme un chaîne d’imprimerie où défilent des milliers
de photos de nourrissons. Une longue bande, de nouveaux nés, qui défile dans un
labyrinthe d’échafaud-âges. Le visiteur déambule dans la production de la vie
de notre planète, combien de naissances et de décès. Environ 240 000 vies
gagnent sur la mort chaque jour…Nous voici donc dans ce système froid de presse
à bébés qui passent aux rouleaux mécaniques. Ils sont presque tous
identiques, " vierges de toute expérience, mais pourtant ils
connaîtront tous un sort différent ".
Un
poncif érigé en art
-
Le destin qui a voulu que l’artiste sélectionné pour l’Allemagne meure d’un
cancer du poumon, alors qu’il était non fumeur juste avant la biennale ! Christophe Schlingensief nous a légué son image en héritage :
un symbole vivant d’énergie et de volonté. qui sont, pour lui, les conditions de
celui qui souhaite faire entendre son message. Cet artiste veut nous aider à
réfléchir sur notre aptitude à nous imposer en art tout en gardant une grande
humilité. Rest in Peace.
-
Et c’est peut-être en résolvant ce problème d’ego et celui du pouvoir que l’on
parviendra à vivre dans un monde de paix. Le pavillon coréen est tout bariolé
d’uniformes en fleurs et de vidéos où des soldats manœuvrent invisibles dans
une jungle de fleurs champêtres. FLOWER POWER!
Lee Yongbaek attaque
la question du système et de ses institutions avec
ce beau symbole du mannequin qui se révolte contre son propre moule ! Et cette
vision de la piéta ou un autre grand moule blanc berce son enfant rose endormi,
anesthésié plutôt! Il faut se réveiller avec fracas comme dans ces vitres
miroirs vidéo qui explosent en mille morceaux brisés criblés.
-
C’est l’émotion qui règne au pavillon tchécoslovaque (à Venise la scission
n’est pas encore faite!). Dominique
Lang fait revivre la sculpture de
son père, les travaux de plâtres depuis longtemps délaissés sont réveillés dans
cette reconstitution poétique de l‘atelier. Les sculptures, avant
poussiéreuses, prennent une nouvelle tournure. Cette œuvre, comme inachevée
trouve ici un nouveau dynamisme. Des fragments, des reconstitutions, des
perspectives sont collés dans un espace nouveau qui dresse un pont magique
entre le présent et le passé. Une poignante mise en scène qui nous immerge dans
cet espace du travail artistique (un peu comme la visite de l’atelier de
Brancusi). Les meubles font aussi partie de l’installation, ils se mêlent
intimement aux statues de plâtre comme cette table qui entoure un nu, cette
armoire qui protège l’intimité de quelques ébauches planquées…
-
On vit dans un monde fragile! Le saviez-vous ? Ici à Venise c’est la neutralité
qui nous le dit: la Suisse avec le haut parleur Thomas Hirschhorn. « Establishing
a critical corpus » est un travail collectif de très haut niveau en termes
de critique sociopolitique. On vit dans un monde de cristal…mais la beauté du
quartz et ses qualités dynamiques, protectrices et spirituelles semblent avoir
été perdues de vue (dans l‘installation les cristaux ont curieusement noirci).
Ce ne sont aujourd’hui plus que des piles industrielles, des blocs de silice
qui alimentent un monde de pacotille. Trop de lumière aveugle ! Nous n’y
pensons plus, nous sommes enfermés dans une caverne, un purgatoire, ébloui par
une lumière médiatique trop intense qui reflète un monde surfait. Carton, alu,
plastic qui nous entourent dans cette omniprésence compulsive de l’emballage.
Moche ! La ruine de notre société.
Si
comme dans cette installation-grotte emballage on nous montre du doigt les
atrocités commises aujourd’hui, comment réagissons-nous ? Comment réagissons
nous aux mutilations dont souffrent les victimes de ces violences ? Au niveau
médiatique tout est transféré sur un autre plan mais qu’advient-il si le public
est confronté à cette violence réelle dans une installation artistique ?
Continue-t-il à n'être qu'un voyeur impassible voire blasé, ou cela peut-il
l'amener à voir enfin les évènements autrement?
Toute
une réflexion sur la transparence et sur l’opacité…
Les
médias emballent et ces artistes suisses déballent la vérité ?
Le grand pavillon ?
-
Le sacro-saint temple de l’Art de pointe (ce pavillon rassemblerait la crème de
la crème comme on dit en Gourmandie) est cette fois-ci un peu déroutant,
comment dire.... léger…on marche sur la tête!
Comme
ce char d’assaut retourné dont les chenilles sont animées par le piètre effort
d’un jogger juché sur un tapis roulant
des
bouts de pâte à modeler à disposition du public, des pigeons empaillés partout,
des chaussettes prisonnières entre deux rochers, un bambou érigé, un bac
renversé avec de la cire figée, une vidéo figée de la pleine lune…
-
Une petite note tranquillisante en Grèce avec une installation adaptée aux
circonstances économiques: un passage, un pont au milieu d’un pavillon rempli
d’eau. Inondé mais paisible grâce à cette musique planante qui nous transporte
et nous permet de souffler, de décompresser !
Rien
d’autre…
L‘Arsenal…la grande enfilade de toutes les surprises
Vous
entrez dans un labyrinthe de placards. Des portes de placards pour toute
introduction. Qui est au placard ? Pas commode à savoir ! L’art qui placarde ou
le public au rencard ? Je ne sais pas. Toute une installation grand-mère du
siècle passé, où sommes nous ? De ces meubles on ne garde que la porte; ce
n’est pas l’intérieur qui compte ! C’est la façade, recto et verso, comme pour
ne pas aller au-delà des apparences. C’est une ambiance sans saveur ni
intrigue. Des rideaux et des miroirs pourtant…l’attraction émotionnelle avec le
public est des plus réduites.
Mais
ouvrez les yeux bon sang ! Pour cela on nous plonge dans une salle noire dans
laquelle il n’y aurait presque rien à voir. Exactement comme dans la vidéo que
l’on vous montre où les gens viennent au rendez-vous de l’art dans une grande
salle (blanche cette fois-ci) sans comprendre pourquoi; il ne se passe rien
!
-
Allez un peu d’émotion que diable ! Mais non, admirons cette fusée improbable,
un projet chilien qui ne décollera jamais. Il faut donc être bien accroché pour
ces premières salles qui ne sont pas très aguichantes.
Courage ! Rashid Johnson nous réchauffe avec de forts jolis tableaux sculptures en bois marqués au « branding » (tatouage au fer rouge) et calligraphiés à l’encaustique avec quelques touches « asiattisantes » rouges et dorées
Courage ! Rashid Johnson nous réchauffe avec de forts jolis tableaux sculptures en bois marqués au « branding » (tatouage au fer rouge) et calligraphiés à l’encaustique avec quelques touches « asiattisantes » rouges et dorées
Plus
accessible déjà avec, pour suivre, 15 sculptures architectoniques faites dans
toutes les matières possibles. Ces maquettes du monde nous aident à voyager dans
tous les pays et tous les temps.
Franz
West un artiste iconoclaste, « pas-tantant ». Pour le meilleur et
pour le pire, le public s’y perd, l‘ironie n’est pas flagrante. Dur ! Sommes
nous venus à Venise pour voir deux cuvettes de WC en face d’un lavabo ?
Les
artistes se succèdent, se confondent pour former un confortable oreiller
soporifique qui anesthésie nos sens et notre âme, je ne souviens plus de rien
docteur…
Vient
enfin l’exposition des artistes italiens dans un foisonnement assez captivant.
L’optique du cru a été de rassembler un grand maximum d’artistes dans trois
grands halls. L’Italie nous offre un art non plus conceptuel mais plutôt
expressionniste. Un travail qui nous permet de revenir sur nos plates bandes,
plus accessible somme toute.
La
petite révolution de cette exposition italienne organisée par Vittorio Sgarbi
est: « L’Arte non e cosa nostra » une enquête sur la mafia où comment
lever le rideau sur la criminalité au grand public. L’art est aussi une
plateforme idéale pour dire la vérité sur notre société et diffuser au grand
jour l’infamie mafieuse. Superbe!
-
L’exposition continue en extérieur dans une belle frénésie de sculptures et
d'installations…
-
La Chine présente Yuanyong dans un lieu exceptionnel: « le magasin des
citernes », énorme, une salle des réservoirs de pétrole de l’Arsenal,
grosse charge de vieux fers où flottent une belle armada de petites poteries et
une vapeur mystique…Traverser ce couloir où une pluie de lettres latines se
délitent comme une neige morte alors que les idéogrammes noirs se consolident
toujours plus tels des signes qui prendront le dessus.
Yuangyong
Et
ainsi de suite...on traverse parfois certaines zones obscures, où le jugement
s'étouffe, l'attention s'enfuit...c'est fou, tout devient flou
Les expositions
individuelles, au détour des canaux et ruelles...
La
partie originale de la biennale de Venise : suivant un plan particulièrement
approximatif vous plongez dans les méandres de la ville à la recherche
d’expositions individuelles. Les artistes sont le plus souvent présentés sous
la bannière de leur pays, mais ils ont le privilège de pouvoir investir un
espace qui fait partie du cœur de la cité. Vous allez découvrir des intimités
vénitiennes que vous n’auriez normalement jamais connues ! Voici quelques
artistes que nous avons remarqué...
-
Dans un des nombreux cul-de-sac du quartier Santa Croce, devant une église, sur
un parvis du grand canal, Oksana
Mas présente une œuvre
qui fait le pont entre la renaissance et nos jours ; téméraire. Imaginez de
grands panneaux couverts de seulement 3.640.000 œufs en bois peints au motif de
symboles folkloriques ou icônes classiques de notre société qui dans leur
totalité représentent une copie de l’œuvre de Van Eyk « Les Jardins du
Paradis ». Ce n’est qu’en reculant que l’on aperçoit l’époustouflante
perspective de ces grandes toiles qui totalisent en tout une surface de 134 X
92 mètres !
-
Le scenario de Francisco
Tropa, portugais, nous présente une poésie visuelle qui change notre
perception du temps. Un ancien entrepôt a été rénové et, en lui-même, il nous
plonge déjà dans une autre époque. Un éloge est fait à l’élément qui domine
Venise, l’eau. Sur plusieurs installations, un rétroprojecteur est placé devant
un goutte à goutte qui est reportée sur de grands écrans. Si l’image est
inversée, l’eau semble être libérée de toute pesanteur, légère.
-
Au Kyrgystan, on porte un regard très critique sur le monde. Marat Raiymkulov a réalisé des milliers de petits
dessins très acides qui nous présentent la condition humaine dans sa plus
triste vérité. C’est fou comme de simples silhouettes peuvent nous rappeler
notre bêtise, notre aveugle soumission, notre manque de spiritualité! Quand on
feuillette ces petits cartons gribouillés, la vie quotidienne de la société
moderne nous paraît tellement absurde.
-
Le Luxembourg a choisi un espace intime, le rez-de-chaussée d'une maison. Cette
exposition "Cercle Fermé" est un projet des artistes Martine Feipel et Jean
Bechameil et du curateur
René Kockelkorn.
Une
distorsion de l’espace dans quelques quatre ou cinq salles bouleverse le sens
commun de l’équilibre, tout ondule. Les pièces se succèdent dans le blanc, une
sorte de grande banquise d'un espace infini qui se reflète dans un palais des
glaces. Votre perception est mise à l'épreuve, les meubles ondulent, des
miroirs vous reflètent sans fin, des colonnes son bancales, des chaises molles,
le tout dans un décor baroque qui nous emmène dans un autre temps... un
chamboulement du lieu.
-
Enfin une dernière artiste digne d'être mentionnée, la géorgienne Tamara Kvesitadze,
qui nous présente un beau message pour l'universalité de la paix dans le monde.
Un travail particulièrement soigné et approfondi pour parler de l'amour. Elle
expose ce travail dans le hall d'entrée d'un vieux palais vénitien, le palais
Pisani, qui séduit par sa force et sa simplicité...
Tamara Kvesitadze
Ainsi se termine ce regard sur une Venise qui sait admirablement marier sa splendeur classique et son insolite vie quotidienne avec l'art contemporain de tous les horizons ...
samedi 7 janvier 2012
DOMINIQUE ROSSIGNOL, CONQUERANT A L’ASSAUT DE LA CREATION. (Nicole Anquetil)
Visite d’atelier, 19
décembre 2011.
C’est un homme élégant, élancé et sobre qui nous ouvre les portes de son atelier par un lundi matin froid de décembre. La rue est glaciale, l’homme est chaleureux d’emblée, à ses côtés on se sent bien.
1 L’atelier est une caverne d’Ali Baba, succession de pièces reliées
par des escaliers pentus où sont méticuleusement rangées des dizaines de toiles, toiles
appuyées sagement contre les murs en attente d’être dévoilées par la main du
maître. Tout est prêt pour une matinée extraordinaire dont je sortirai éblouie,
étourdie, épatée dans l’ordinaire et la froideur de la rue Ste Croix.
La jubilation avec laquelle Dominique Rossignol montre ses
œuvres est communicative et contagieuse. On veut tout voir, on lui fait tout
montrer, tout sortir ! On passe de pièce en pièce pour ne rien
rater ! La matinée est magique, le
personnage est enchanteur. Oui j’ai bien envie de l’appeler Merlin
l’enchanteur !
C’est un grand seigneur, un bouillonnant passionné qui parle et qui parle avec une telle chaleur et une telle modestie de son œuvre. Il vit son art comme il en parle, à fond et sans retenue. On sent vibrer la liberté de sa création, l’authenticité de l’homme dans sa démarche, on est touché par l’humilité de la présentation des toiles, comme si tout était banal ou normal. Plus j’avance plus je suis fascinée, plus je suis émerveillée.
C’est un grand seigneur, un bouillonnant passionné qui parle et qui parle avec une telle chaleur et une telle modestie de son œuvre. Il vit son art comme il en parle, à fond et sans retenue. On sent vibrer la liberté de sa création, l’authenticité de l’homme dans sa démarche, on est touché par l’humilité de la présentation des toiles, comme si tout était banal ou normal. Plus j’avance plus je suis fascinée, plus je suis émerveillée.
Le voyage dans l’atelier s’annonce bien, on est emporté.
Mes yeux ne sont pas assez grands.
Le contraste entre la découverte des dernières toiles du
Maître et le rangement méticuleux et maniaque de l’atelier ajoute au mystère du
personnage. L’imagination débordante inscrite au cœur des toiles face à
l’ordonnancement quasi maniaque des outils de travail intrigue.
2 Je jubile parce que c’est la peinture que j’aime, celle du
cœur et de l’âme voyageuse, celle des rêves enfantins et des horizons nouveaux,
peinture sans cesse en mouvement, sans cesse recréée, peinture sans chichis ni
effets de mode loin des clichés et la tendance. Le travail de Dominique
Rossignol est l’expression de la création en marche, les compositions de ces
toiles sont multiples, hétérogènes mais dégagent une telle unité, une telle
logique de composition. C’est une œuvre de longue haleine que l’on sent cent
fois remise sur le métier, un tricotage méticuleux de toiles anciennes et
nouvelles, une recherche constante et probablement douloureuse ou difficile
d’avancer dans l’art. Quelle imagination ! Quel soin dans le recollage des
morceaux ! C’est le puzzle de toute une vie qui s’étale devant nous,
cohérence extraordinaire de rafistolages éparses. Rossignol est le champion du
marouflage ! Le roi de la Récup ! Son œuvre est l’expression libre
d’un homme qui visiblement a fait ce qu’il a voulu. Liberté des gestes, gestes
déliés, pas élancés de l’homme comme ses coups de pinceaux qui débordent
largement de la toile, comme ses coups de ciseaux dans la toile, comme ses
collages fantaisistes. Je ressens la profondeur de la création et l’authenticité
du personnage. Aucune entrave dans sa création, il est inventif et généreux,
audacieux et adroit.
3 Dominique Rossignol est un chevalier, un Conquérant de l’art qui avance sans
peur, un grand guerrier qui ne cache pas ses bagarres avec la toile, ses doutes
sur la validité du résultat, ses allers et retours et valses-hésitations. Son
énergie à soulever de terre les lourds
châssis, comme autant de butins de son long et profond travail est
remarquable. C’est un grand diable qui ouvre ses bras pour embrasser des toiles
anciennes et les révéler à la lumière. Ses toiles sont à sa taille, taille
humaine, l’homme et les châssis se retrouvent, le moment est émouvant. Il les
déploie comme autant de moment de vie, révisions d’un travail acharné. Il les enlève
comme des trophées trop heureux que je m’exclame à chaque découverte
d’un « Oh c’est beau !» ou d’un « oh et celle-là » ou
« oh et la bleu à côté ! » Il s’amuse de ma naïveté et de mon
excitation sans rien laisser paraître dans cette tourbillonnante chasse au
trésor qui me comble et m’émerveille. Avec Rossignol, je suis aux Anges !
4 Oui car il y a du merveilleux dans cette œuvre picaresque.
Combat de titans, débauche de mouvements et coups de pinceaux ravageurs, la
toile est battue, retravaillée, cousue, découpée, recadrée, tronçonnée.
La série récente des cavaliers rappellent la Tapisserie de la
Reine Mathilde, épopée de la conquête de l’Angleterre, épopée qui ne peut que
me parler étant normande et parente bien éloignée d’un conquérant
Guillaume ! Les chevaux ailés sortent de la toile, les cavaliers chevauchent
vaillamment, la fresque est vivante.
C’est une approche picturale de la bande dessinée, l’histoire est racontée et se poursuit. Le spectateur est porté et veut
voir la suite. La jeunesse et la hardiesse de cette peinture est superbe et
entraînante. Ici tout est surprise, on retient son souffle. Il y a du Cervantès
et du Dali dans Rossignol. Il faut une suite et il faut une exposition. Le peintre émet d’ailleurs le
souhait d’exposer ces toiles dans leur continuité. Appel bien reçu… et idée à
transmettre. Que ce vœu soit exhaussé en 2012 !
5 On plonge dans toutes
ses toiles comme on entre dans une histoire. Des épopées lyriques, on passe à
l’imagination débridée et à l’audace des collages. Les toiles plus anciennes
sont composites et révèlent l’acharnement jubilatoire à créer, inventer. Chaque
toile est une page du livre ouvert de sa vie, collection de moments intimes
livrés au regard. lJ’aime me perdre dans
les beaux bleus osés, effleurer les morceaux de dentelles récupérées, les
tissus incrustés, les lambeaux de toiles marouflées. La surprise est totale,
l’imagination débridée et fantasque. on n’ose pas les touchers. Le rangement
obstiné de l’atelier n’est-il pas l’antidote à cette fantaisie insoupçonnée, à cette jolie
folie, à ces actes de désobéissance par rapport à un art convenu et bien
défendu par les institutions ? Ici la toile n’est pas sacralisée, elle est
maitière première à faire du nouveau. On sent que dans l’avancée de l’œuvre, la
conceptualisation disparaît, la retenue s’efface. Les œuvres sortent plus des
entrailles que de l’intellect. Toutes les normes et tous les brouillages qui entravent la
création sont balayés, la création est libérée, l’artiste s’ouvre et s’empresse
à rendre limpide son travail.
6 C’est enfin
l’expression des rêves et de la sensualité qui me portent dans cette œuvre.
L’artiste prend dans ses bras ses toiles comme il le ferait d’une femme, il a
une relation charnelle avec ces morceaux de vie étalés au grand jour. L’émotion
est palpable, la reconnaissance est grande de nous faire partager cette
intimité. Les corps sont partout, inscrits dodus et pleins dans le lin, griffés
énergiquement avec la plume de l’encre, ronds et avenants dans les sculptures
gardiennes des toiles. Les femmes sont en chair et leur beauté crue exposée.
Les courbes des écritures et des dessins esquissés à tous les coins de toile
soulignent à l’envie tout le sens caché du message : la sensualité, le féminin
et la jouissance dans et de la vie.
Quelques travaux à l'ordinateur
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