lundi 14 novembre 2011

LES MONDES PARALLELES DE MICHEL LAGARDE (Ludovic Duhamel)


L’art photographique de Michel Lagarde rappelle sans doute, en moins sombre, celui du couple américain Robert et Shana Parke Harrison (cf. Miroir de l’Art n°2). Il existe en effet une parenté indéniable, tant dans la préparation méticuleuse de la mise en scène que dans le résultat final, entre ces deux photographies atypiques. 
Pour autant, chez Michel Lagarde, l’aspect burlesque des situations et l’indéfinissable dégaine des personnages, donnent à l’image une tonalité particulière ; nous voici plongés dans un monde parallèle, aux frontières du réel. Et l’on reste songeur : doit-on rire, ou pleurer, face à ces portraits gouailleurs ?
Il y a du Buster Keaton dans cette photographie qui oscille entre comique et tragédie. Et c’est bien la volonté de l’artiste qu’il en soit ainsi : «La tragi-comédie est un art majeur de narration, elle permet à l'image de transmettre toutes les formes de sentiments, de mettre en scène des personnages marqués par la vie» affirme-t-il. Ainsi l’ouvrier aux traits tirés, harassé par son labeur quotidien dans l’usine que l’on aperçoit au second plan, sous un grand ciel ravagé, apparait seul sur un chemin de fange, et l’on ressent toute la sordide réalité du productivisme maintes fois dénoncé par les grands auteurs réalistes, Zola en tête.
Toutefois, l’homme tient une faucille à la main comme on tient une arme qui s’est enrayée, et ce bout de symbole communiste, suffit à lui seul à dérider la situation, à alléger le propos. Faut-il en rire, faut-il en pleurer ? Michel Lagarde ne donne pas de réponse et suggère habilement l’éternel mouvement de balancier de la vie. Ainsi, devant cet homme canon aux côtés de son manager, les mêmes sentiments contradictoires s’affrontent et enrichissent notre perception d’un monde insolite et savoureux. Doit-on siffler la morgue du second, cigare au bec, riche de toutes ses certitudes, ou déplorer la naïveté du premier, grand dadais sans cervelle ?
Ainsi, pour ce joueur de football, dont on ne sait s’il faut moquer l’air ahuri, après que son équipe lui ait fait faux bond, ou louer le courage de fouler un terrain particulièrement détrempé, par un temps à ne pas mettre un homme en short dehors. 
Idem pour ce souffleur endormi dans le théâtre vide, épuisé par les actes manqués, dont on mesure la solitude à l’aune des sièges désertés, et qui cependant a trouvé dans les textes de quoi nourrir ses rêves.



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